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Le Parquet européen : Une bombe à retardement

Flash info 14/01/2020

Le Parquet européen : Une bombe à retardement - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

Le Procureur européen délégué : La fin programmée du juge d'instruction et du Parquet "à la française" ?

Suite à l'adoption le 12 octobre 2017 par le Conseil de l'Union Européenne du règlement instituant au titre de la coopération renforcée en matière pénale entre 22 Etats membres, un Parquet européen, le Ministère de la justice a préparé un projet de loi, introduisant au code de procédure pénale le statut inédit de Procureur européen délégué.

Pour rappel, le Parquet européen est un projet qui a été politiquement porté par la France et l'Allemagne. Il est compétent pour rechercher et poursuivre les auteurs des fraudes aux intérêts financiers de l'Union (et, en premier chef, la fraude à la TVA intracommunautaire), en concurrence avec les instances nationales. Situé à Luxembourg, il est composé d'un bureau central comptant à sa tête un Procureur européen (Laura Codruta Kövesi) appuyé par 22 procureurs européens - un par Etat membre -. Ce bureau central comprend deux organes : le collège - en charge de la définition de la politique pénale - et les chambres permanentes qui, constituées chacune de 3 procureurs européens, supervisent et dirigent chaque enquête, décident in fine de leur issue (classement, renvoi devant les juridictions nationales) et coordonnent les poursuites pour les dossiers transfrontaliers. En France, comme dans chaque Etat membre, sont créés plusieurs Procureurs européens délégués auxquels le projet de loi prévoit de confier des pouvoirs hors norme (I) tout en consacrant leur indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, créant de ce fait une disparité avec le reste du Ministère Public (II).

 

I - Des pouvoirs de juge d'instruction accordés au Procureur européen délégué

Au-delà des attributions communément exercées par les membres du Parquet national, le projet de loi prévoit de confier l'ensemble des pouvoirs dévolus au juge d'instruction au Procureur européen délégué qui pourra ainsi procéder à des interrogatoires, confrontations et auditions, diligenter des commissions rogatoires et des expertises, délivrer des mandats de recherche, de comparution et d'amener, décider d'une mise en examen ou déclarer une constitution de partie civile irrecevable1.

Il s'agit d'accorder des pouvoirs tout à fait exceptionnels au Procureur européen délégué ce qui, à terme, risque d'entraîner une confusion de la répartition des compétences entre le Procureur et le juge d'instruction dans notre système national. Pour poursuivre des infractions identiques, deux cadres de procédure co-existeront avec des garanties différentes.

De plus, ce transfert de la totalité des compétences du juge d'instruction au Procureur européen délégué ne va-t-il pas préfigurer la disparition du juge d'instruction souvent réclamée par la classe politique ? Il est envisageable qu'à terme, sous couvert d'une harmonisation avec ces dispositions nouvelles, il sera mis fin aux fonctions de juge d'instruction.

Notre syndicat a attiré l'attention du Ministère sur l'incongruité que le Procureur européen délégué exerce les attributions à la fois d'une partie et d'un juge.

Comment peut-on imaginer qu'un Procureur, qui est une autorité de poursuite, s'attache, avec la même neutralité qu'un juge d'instruction, à garantir le respect des droits des parties, du contradictoire et la régularité des investigations ?

D'autant plus, que, dans le cas présent, à la différence du magistrat instructeur, le Procureur européen délégué ne se voit opposer aucun contre-poids réel.  Le  projet de loi supprime en effet la possibilité pour la chambre de l'instruction d'évoquer une procédure ou de dessaisir le magistrat en charge et prive ainsi incontestablement le justiciable de son droit à un recours efficient.

Plus encore, s'agissant des mesures de contrainte, le projet de loi prévoit que le Procureur européen délégué soit entièrement compétent en matière de contrôle judiciaire - les décisions d'assignation à résidence avec surveillance électronique, de détention provisoire et de mandat d'arrêt restant prises par le Juge des Libertés et de la Détention, requis à cette fin. Outre que le Ministère de la justice considère apparemment qu'un contrôle judiciaire n'est pas suffisamment attentatoire aux libertés pour justifier l'intervention d'une autorité judiciaire, ceci ne peut que créer une inégalité entre les justiciables. En effet, les mêmes infractions peuvent être poursuivies par le Procureur européen délégué et le Ministère public français, la compétence du premier étant prioritairement mise en œuvre dans les affaires où les intérêts de l'Union sont particulièrement exposés. Ainsi à titre d'exemple, pour une même demande de mise en liberté : dans la plupart des dossiers, les réquisitions du ministère public seront suivies de l'ordonnance du juge d'instruction saisissant le Juge des Libertés et de la Détention et, dans ceux suivis par le Parquet européen, les réquisitions du Procureur européen délégué suffiront à saisir le Juge des Libertés et de la Détention.

Le projet de loi consacre ainsi, en réalité, la fin d'une enquête indépendante, le Procureur européen délégué n'agissant pas en autonomie.

 

II - L'indépendance du Procureur européen délégué vis-à-vis du pouvoir politique national : l'indispensable réforme du statut de l'ensemble des magistrats du Parquet.

En effet, le Procureur européen délégué est étroitement subordonné aux chambres permanentes du Parquet européen dont il doit suivre les orientations et instructions. A la lecture du règlement européen, il ne semble pas disposer de sa liberté de parole à l'audience. Cette forte intégration à la hiérarchie du Parquet européen suppose, en miroir, que le Procureur européen délégué ne soit plus soumis à celle du Ministère public français.

Aux termes du projet de loi, le Procureur européen délégué, en situation de détachement, ne pourra recevoir de directives du Procureur général et... du Garde des Sceaux, ceci consacrant pour la première fois la perspective d'un Parquet indépendant politiquement sur le plan national. Ainsi co-existeront, devant les juridictions nationales, deux Parquets : l'un autonome de toute intervention gouvernementale, l'autre placé sous l'autorité du Garde des Sceaux. Il apparaît en conséquence indispensable, afin d'assurer la nécessaire cohérence des autorités de poursuite intervenant sur le territoire français, de renforcer le statut des magistrats du Parquet afin de les faire bénéficier des mêmes garanties d'indépendance à l'égard du pouvoir politique que les Procureurs européens délégués.

 

A cet égard, UNITÉ MAGISTRATS réitère sa demande d'une refonte immédiate du statut des magistrats du Parquet qui ne saurait se limiter au simple alignement de leur mode de nomination et de discipline sur celui des magistrats du Siège.

UNITÉ MAGISTRATS propose que soit modifié l'article 64 de la Constitution en accordant les mêmes garanties d'inamovibilité aux magistrats du Siège et aux magistrats du Parquet.

UNITÉ MAGISTRATS réclame par ailleurs une réécriture de l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 aux termes duquel "Les magistrats du Parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du Garde des Sceaux". UNITÉ MAGISTRATS demande que soit retranchée de cet article toute référence à l'autorité exercée par le Garde des Sceaux sur les magistrats du Parquet2.

 

1 "lorsqu'il est nécessaire soit de mettre en examen une personne ou de la placer sous le statut de témoin assisté, soit de recourir à des actes d'investigation qui ne peuvent être ordonnés qu'au cours d'une instruction, en raison de leur durée ou de leur nature, le procureur européen délégué conduit les investigations conformément aux dispositions du présent code applicable à l'instruction" (article 696-115 du projet de loi).

2 UNITÉ MAGISTRATSpropose que soient rédigés comme suit :

-> Le dernier alinéa de l'article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958 : "Les magistrats du Siège et du Parquet sont inamovibles".

-> L'article 5 de l'ordonnance n°58-1278 du 22 décembre 1958 : "Les magistrats du Parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques au premier rang desquels le Procureur Général de la Cour de cassation".

 

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