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Qui a lu le dernier rapport de la Cour des comptes sur les dysfonctionnements de la justice ?

Recherches, Travaux 25/02/2019

Qui a lu le dernier rapport de la Cour des comptes sur les dysfonctionnements de la justice ? - Syndicat Unité Magistrats SNM FO

Notre syndicat a parcouru les 128 pages du rapport de la Cour des Comptes avec grand intérêt et vous en livre une synthèse.

Ce rapport argumenté valide nos analyses sur les causes structurelles du dysfonctionnement de la Justice et corrobore nos propositions pour réformer en profondeur l'organisation judiciaire.

Nous nous étonnons du peu d'intérêt porté à ce rapport par ceux qui sont en responsabilité.

Dans un contexte de rigueur budgétaire s’appliquant à la plupart des ministères, le parlement a toutefois décidé d’une hausse significative des moyens alloués au programme 166 « Justice judiciaire ». Les crédits de programme sont ainsi passés de 3,06 Md€ en LFI 2013 à 3,44 Md€ en LFI 2018, soit une progression de 12,4 %.  En retour, la Cour des comptes a été saisie par le président de la commission des finances de l’assemblée nationale d’un examen de l’emploi qui a été fait par notre administration de ces moyens. Elle a déposé en décembre 2018 son rapport sur la mesure de l’activité et l’allocation des moyens des juridictions judiciaires.

Des moyens qui restent inférieurs au standards européens

Sans surprise, la Cour a tout d’abord rappelé que le budget de la justice en France représentait en 2016 0,18 % du PIB (incluant les budgets des juridictions administratives et judiciaires), chiffre sensiblement inférieur à la médiane de l’Union européenne continentale (0,29 %).

Une dégradation de la performance des juridictions :

La Cour constate que l’activité juridictionnelle est quasi stable depuis 2013 et même en léger retrait mais que les stocks d’affaires en instance ont augmenté.

La proportion des tribunaux de grande instance en situation de fragilité au regard de l’allongement des délais de jugement, en matière civile notamment, a sensiblement augmenté. Le nombre de juridictions en grande difficulté se situe ainsi à 58 % en ce qui concerne les TGI et à 53% en ce qui concerne les cours d’appel.

La Cour constate donc que la progression continue des moyens votés par le Parlement n’a pas permis, à ce jour, d’améliorer significativement tant le fonctionnement des juridictions judiciaires que le service public rendu au citoyen.

Une faible augmentation des personnels

En réalité, entre 2013 et 2017, les emplois votés en lois de finances ont augmenté de 3,5 % pour les magistrats et de 6,6 % pour les fonctionnaires, alors que sur la même période, les effectifs réels de magistrats affectés en juridictions ont été quasiment stables (+0,5 %) et ceux des fonctionnaires en légère hausse (+1,8 %).

La Cour rappelle qu'avec 13 magistrats et 47 personnels judiciaires (magistrats et fonctionnaires) pour 100 000 habitants, la France se situe à environ la moitié de la médiane des pays de l’Union européenne continentale et constate que le ministère de la justice n'a donc que partiellement exécuté les schémas d’emplois votés à son profit en lois de finances.

Un pilotage à professionnaliser

Ainsi, la Cour constate que le ministère de la justice a sous-exécuté ses plafonds d’emplois et que les renforcements d’effectifs de magistrats n'ont été qu'annoncés mais contredits par l’évolution modérée du solde des entrées-sorties de magistrats en fin de gestion, aboutissant à la création nette annuelle de seulement 30 à 60 postes de magistrats. Dans le même temps le ministère de la justice a été dans l'incapacité de justifier ce défaut d'exécution par une insuffisance de crédits budgétaires votés au titre des dépenses de personnel.

La Cour constate également que le ministère de la justice méconnaît le calendrier de la procédure budgétaire.

Elle constate que le processus de dialogue budgétaire interne est réalisé avec trop d’acteurs centraux ou en territoires, dans un calendrier qui n’est pas compatible avec celui imposé par les arbitrages interministériels. En effet, les échanges entre les chefs de cour et l’administration centrale qui s’achèvent en novembre ne peuvent tout simplement pas fonder les besoins exprimés par le ministère de la justice dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances, les arbitrages finaux s'effectuant en juin.

En outre, la Cour dresse le constat d'un manque de coordination des services centraux ainsi qu'un manque d’articulation entre les discussions budgétaires et la performance.

Par ailleurs, l’administration centrale n'a pas été en mesure de préciser à la Cour un mode opératoire objectif lui permettant d'identifier les besoins des juridictions. Ainsi, il n’a pas été possible de connaître les modalités de calcul des besoins.

Selon les propres termes de la Cour, le pilotage des moyens des juridictions, et notamment l'élaboration de la circulaire de  localisation des emplois, s’effectue aujourd’hui principalement « au fil de l’eau ».

Face à ces difficultés, la Cour estime que l’administration du ministère ne dispose pas de tous les outils de connaissance et de pilotage nécessaires. Ni les outils statistiques, ni les études d’impact, ni les indicateurs de performance ne sont suffisamment fiables et complets.

Ainsi, la Cour constate que le ministère de la Justice a connu de très nombreuses évolutions législatives et réglementaires depuis 10 ans et que la plupart ont alourdi la charge de travail des juridictions. Cependant, le ministère n'apprécie pas les conséquences des réformes. Un élément important d’une bonne gestion est pourtant – pour la Cour - une évaluation précise de leurs importances et de leurs coûts.

La Cour constate également que le ministère de la Justice ne dispose toujours pas d’outils informatiques et statistiques efficaces et que les indicateurs de performance sur lesquels il s’appuie manquent de fiabilité. Le ministère de la justice présente notamment une faiblesse de ses outils d’analyse et de suivi d’estimation de l’activité des personnels et n'est pas en mesure de posséder une juste vision des besoins humains et budgétaires des juridictions judiciaires.

Pour la Cour, la dégradation de la situation de la justice judiciaire doit inciter à une profonde révision des méthodes de définition des besoins et d’allocation des ressources des juridictions.

La Cour conclue ainsi que l'augmentation significative des moyens budgétaires supplémentaires dont ont bénéficié les services judiciaires n'ont pas généré de gains de performance, ceux-ci ayant été effacés par des facteurs organisationnels.

Une organisation inefficiente :

Outre le fonctionnement des différentes directions de l'administration centrale « en silos », la Cour relève que le réseau de juridictions est « très dense » (ce qui pose en filigrane la question de la carte judiciaire). Elle constate également la décorrélation entre l'organisation des juridictions qui semble maintenir les Cour d'appel sur un pied d'égalité et leur pilotage budgétaire. Ainsi le directeur des services judiciaires, responsable du programme 166 « Justice judiciaire » ne connaît que les 16 premiers présidents et procureurs généraux de cours d’appel[1] qui sont les responsables des budgets opérationnels de programme (BOP). Les 20 cours d’appel restantes constituent des unités organisationnelles (UO) dépendant réglementairement des BOP susmentionnés.

La Cour s'intéresse également à la carrière des magistrats judiciaires qui obéit à une réalité différente de celle des autres magistrats : elle n'est pas linéaire et se trouve soumise à une très forte mobilité géographique et fonctionnelle. La Cour estime que cette forte mobilité est une source de désorganisation pour les juridictions, qui pour certaines, voient leurs effectifs renouvelés à plus de 50% tous les deux ans. Elle constate dans le même temps que certains postes et surtout certaines localisations ne sont pas rendus attractifs. La conséquence est que des juridictions sont structurellement moins bien pourvues que d’autres.

La nécessité de prendre en compte la charge de travail

La Cour constate que le ministère de la justice ne connait pas la réalité de l’activité judiciaire et qu'elle ne peut par conséquent garantir une allocation efficiente des moyens des juridictions.

Elle recommande donc au ministère de la justice de rendre explicites les critères qu'il utilise actuellement pour répartir les moyens, en particulier en personnels, alloués aux juridictions en créant - dans les trois ans - un système d'évaluation de la charge de travail se fondant notamment sur de futurs outils de gestion.

Elle rappelle par quelle méthodologie précise les juridictions des autres ordres savent objectiver la charge de travail des magistrats. Elle rappelle également les systèmes d'évaluation de la charge de travail et d'allocation des moyens mis en place par les Etats étrangers comparables.

Quelle crédibilité pour les services judiciaires ?

Ce rapport de la Cour préfigure une série d'autres qui s'intéresseront au fonctionnement du ministère de la justice. Il renvoie une image fidèle mais en définitive assez peu laudative de la capacité gestionnaire des services judiciaires.

Dans quelle mesure les élus pourront-ils considérer que donner plus de moyens à une administration qui s'avère être en grande difficulté pour les gérer efficacement est souhaitable ? Les constats opérés par la Cour des Comptes pour informer la représentation nationale sont connus depuis longtemps des différents acteurs du ministère de la justice animés tantôt par la gestion de l'urgence, tantôt par la reproduction des habitudes.

C'est un double défi qui se présente ainsi au ministère de la justice : celui de parvenir à s'approprier les standards de qualité de gestion en vigueur dans les autres administrations et celui – encore plus ambitieux – de s'approprier les pratiques conformes aux standards internationaux.

La lourdeur de la tâche pourrait conduire à un certain défaitisme mais UNITÉ MAGISTRATS est prêt à apporter sa contribution à la réflexion sur le besoin de modernisation qui se posera au cours des années à venir.

[1]CA de Aix-en-Provence, Bordeaux, Basse-Terre, Cayenne, Dijon, Douai, Fort France, Lyon, Nancy, Nouméa, Papeete, Paris, Rennes, Saint Denis la Réunion, Toulouse, Versailles

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